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Témoignage, Maubourguet 2014

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photo CRAC Europe

A Maubourguet, en 2014, eurent lieu des événements similaires. Une militante franc-comtoise, Chantal Girot, était présente dans les arènes et n’en est pas sortie indemne. Voici son témoignage.

Le samedi 23 août 2014 à Maubourguet (65) dans les Pyrénées orientales, une action citoyenne était organisée par environ 165 militants pour tenter d’empêcher une novillada programmée ce soir là à 21h. Je m’y suis rendue avec Nathalie, une amie. En arrivant à proximité de l’arène nous avons aperçu des CRS postés un peu partout. Nous avons échappé à une première fouille puis nous avons pénétré dans la cour de l’école pour nous rendre à la billetterie.

En possession de nos billets, nous nous sommes dirigées à l’entrée de l’arène où une fouille au corps était imposée à tous les spectateurs. Je me souviens avoir plaisanté avec les musiciens et les personnes qui se trouvaient autour de moi puis je me suis installée avec Nathalie au premier rang juste en face de nous. Quelques minutes plus tard nous avons décidé de nous déplacer vers une partie de l’arène où le saut nous paraissait plus facile.

Tout à coup les CRS ont surgi dans les gradins et sont venus chercher des militants par petits groupes pour leur demander de les accompagner jusqu’à la sortie.

A 21h à l’ouverture du « spectacle », tandis qu’une partie des militants sautait dans l’arène, d’autres dans les gradins s’enchaînaient aux barrières, sifflaient et criaient leur révolte. Nathalie avait sauté. Pour ma part, je n’ai pas eu le temps. Je la cherchais des yeux dans l’arène, inquiète car je voyais les CRS sortir nos amis brutalement, certains à coups de matraque tout en les gazant pendant que les aficionados les insultaient et les frappaient quand ils passaient devant eux, notamment avec des barres de fer, actes que les CRS cautionnaient. A ce moment j’ai été choquée du comportement anormalement violent des forces de l’ordre envers des militants pacifistes « armés » de sifflets et de fumigènes et j’ai compris qu’ils n’étaient pas là pour rétablir le calme mais pour se faire complices des aficionados.

Tout était confus autour de moi au milieu des fumigènes, des cris, des coups et des gaz lacrymogènes. J’ai tenté de dialoguer avec des spectateurs aficionados qui défendaient leur tradition ou me parlaient des abattoirs ou de la misère des humains. Enfin le discours habituel. J’ai mis un terme à la discussion avant qu’elle ne dégénère. J’ai rejoint des militants qui se trouvaient en butte avec des aficionados très avinés et agressifs. Ils nous invectivaient violemment en nous demandant de les laisser tranquilles pour regarder leur spectacle. Quatre d’entre eux se sont jetés sur un militant pour le tabasser , celui-ci s’est effondré dans les gradins de pierre, il n’arrivait pas à se relever et s’est retrouvé coincé entre deux rangées. Les aficionados s’acharnaient à coups de poings et de pieds sur cette personne à terre, nous étions plusieurs à les empêcher de frapper, dont une majorité de femmes mais en vain. Ils étaient forts et menaçaient de nous frapper aussi . Je me suis reculée et me suis approchée de la barrière. Tout s’est passé très vite, une militante qui était enchaînée m’a prise dans ses bras pour me protéger des CRS qui se précipitaient sur nous et les a suppliés de ne pas nous frapper. Un CRS s’est violemment emparé de mon bras gauche, tirant dessus au point que j’ai eu la sensation qu’il allait l’arracher. J’ai crié et me suis débattue à cause de la douleur. Il a alors lâché mon bras pour me serrer à la gorge, entourant mon cou de ses deux mains. J’ai continué à me débattre, il a retiré sa main gauche, gardant sa main droite autour de mon cou et m’a forcé à avancer sans ménagement vers les escaliers de sortie. En arrivant devant les escaliers, un aficionados l’a interpellé ainsi : « Jette là dans l’ Adour celle-là , au moins elle ne viendra plus nous faire chier »

Le CRS me faisait avancer brutalement et j’ai cru un instant qu’il allait me projeter en bas des escaliers, je me suis agrippée à la rampe car j’ai eu très peur. Il a relâché un peu la pression mais n’a pas relâché mon cou, reprenant également mon bras gauche, et m’a sortie de l’arène pour me conduire au-delà de la barrière de protection, dans la rue, où se trouvaient d’autres militants ainsi qu’un groupe de CRS. Il est resté là avec ses collègues qui nous gazaient à bout portant et à répétitions. J’ai retrouvé Nathalie à ce moment là. Deux voitures de gendarmerie sont arrivées puis un camion blanc de la municipalité. Les CRS ont voulu nous faire dégager la rue, c’est alors que l’un d’entre eux m’a très violemment frappée dans le dos me projetant au sol. Je suis tombée sur le genou gauche, le coup a été si fort que j’ai eu l’impression qu’il avait éclaté. J’étais étourdie, j’ai failli perdre connaissance, incapable de me relever. Le camion blanc avançait dans ma direction , des militants m’entouraient, hurlaient au conducteur de s’arrêter, suppliaient les forces de l’ordre d’intervenir mais ils n’ont pas bougé, ils nous ont dit de nous déplacer plus loin tout en utilisant contre nous leurs bombes lacrymogènes alors que le véhicule arrivait droit sur nous. Nathalie et Françoise m’ont portée pour me mettre à l’abri contre un mur et sont restées près de moi jusqu’à l’arrivée des pompiers. Ceux-ci m’ont installée dans leur fourgon en attendant que l’ambulance de Tarbes vienne me chercher. Les deux jeunes pompiers qui m’ont tenu compagnie pendant ce laps de temps m’ont avoué n’avoir jamais assisté à un tel déferlement de violence. Eux aussi ont été gazés et cela les a profondément choqués que les CRS s’en prennent à eux dont le métier est de sauver des vies. Lorsque l’ambulance de Tarbes est arrivée on m’a transportée sur un brancard en traversant le terrain le long des arènes. Un aficionados s’en est pris à moi : « coupez-lui l’autre jambe ». Des spectateurs du haut de l’arène regardaient ce qui se passait à l’extérieur et semblaient hébétés. Je suis restée à l’hôpital de Tarbes jusqu’à 3h du matin . Mon genou étant trop enflé le médecin urgentiste n’a pas pu faire de diagnostic et je dois attendre l’avis du chirurgien orthopédiste que je consulte la semaine prochaine.

Depuis hier, mes larmes coulent, la pression est retombée et je ne parviens pas à verbaliser les sentiments qui m’animent . Je mesure simplement la misère de la condition humaine dans toute sa dimension. Malgré la douleur nous ne devons pas nous plaindre. Nous avons choisi de courir des risques, de mettre nos vies en danger afin de pouvoir dénoncer les comportements barbares des amateurs de corrida.

Lundi je ne pourrai pas retrouver mes élèves de terminale que je me faisais une joie de revoir. Je devrai peut-être renoncer au projet de les emmener à la Comédie Française en octobre car je ne sais pas combien de temps durera mon arrêt de travail. Mes élèves ont à peu près l’âge des jeunes toreros qui ont massacré les taurillons samedi 23 août 2014 dans l’arène de Maubourguet. Comment peut-on imaginer que des jeunes de cet âge apprennent à torturer et à tuer d’innocents animaux pour le plaisir pervers de spectacles de mise à mort programmée. Depuis samedi une pensée de Blaise Pascal ne cesse de me hanter : « Car enfin qu’est-ce-que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout (…) »

Samedi soir nous étions le milieu, la raison, la sagesse, face au rien, celui de l’expression primaire des aficionados dans notre lutte pour arriver au tout, celui de l’abolition d’une horreur : la corrida.

Chantal Girot.